22 mai – 31 mai 2018
Cette année, l’expédition BiJu a eu lieu au Kirghizistan, petit pays d’Asie centrale peuplé de 6 millions d’habitants, pour une superficie équivalente à un tiers de la France. Cette faible densité s’explique par son caractère très montagneux. En effet, on a constamment l’impression d’être cerné par de grandes chaînes montagneuses de plusieurs centaines de kilomètres. Comme nous prévoyons de partir dix jours, nous excluons le Sud et l’Ouest du pays, non pas par manque d’intérêt, mais comme d’habitude il faut opérer un tri sélectif, si on veut avoir le temps de randonner.
Dans ce pays parlant où les langues officielles sont le Kirghize et le Russe, il y aura de quoi être dépaysé. L’Anglais est relativement parlé dans la capitale et les villes « touristiques » (si l’on peut dire).
1. Une préparation prometteuse
Afin de ne pas répéter les erreurs du passé, nous décidons de nous préparer intensivement en ne pratiquant pas ou peu de sport le mois précédent le départ, afin d’éviter toute blessure. En effet, comment affronter le Pic Lénine (7134 mètres) ou le Mont Poutine (4446 mètres) en boitant avant de commencer ? Ce récit dira si cette stratégie est à réutiliser telle quelle ou à adapter (suspense). Nous achetons par ailleurs un matériel de camping un peu plus perfectionné (tente et duvets tenant chaud tout en étant compacts et légers… qui coûtent donc un bras).
De même, afin de ne pas détruire une voiture comme ce fut le cas lors de la Mort islandaise de 2016, nous décidons de louer un 4×4, les routes du Kirghizistan étant réputées très mauvaises. Notre choix se porte donc sur un véhicule militaire russe utilisé par l’URSS à partir de 1971, de marque UAZ, afin de coller un peu à l’ambiance soviétique de la destination. Cette voiture connaîtra un grand succès dans le pays : nous y ferons plus kirghizes que kirghizes, la population locale la photographiant à plusieurs reprises et nous questionnant régulièrement à son sujet.
Comme beaucoup de pays, le Kirghizistan exige un permis international pour autoriser les étrangers à conduire. La France ayant récemment centralisé la demande de ces permis dans la préfecture de Nantes, cette dernière s’est retrouvée noyée sous les demandes et affiche un délais minimum de production de 3 mois (trrroaa mouuaaas??!!). Il existe une modalité pour accélérer le processus en sollicitant un permis pour raisons professionnelles avec l’aide de l’employeur, mais Ju ayant refusé de déclencher cette demande, BiJu partirent sans permis. Heureusement, ils sont assez faciles à obtenir auprès des loueurs de voiture kirghizes, sans être trop regardants sur leur authenticité. Heureusement, la police Kirghize ne s’est pas servie de ce prétexte pour infliger des amendes à BiJu (mais heureusement, les autres prétextes ne manquaient pas). Evidemment, Bi a reçu son permis international délivré par la France LE LENDEMAIN de son retour en Picardie.
Enfin, Ju est malade depuis un bon mois. Plutôt que d’aller se faire soigner, il décide de ne rien faire, optant pour la stratégie habituelle de Bi. Lorsque nous nous retrouvons à l’aéroport de Roissy, il est déjà dépité d’être dans cet état et se rassure en constatant qu’il pourra mettre un terme au séjour quand il le voudra, des vols partant régulièrement de Bichkek. Rassurant pour Bi.
Nous prenons la compagnie nationale russe Aeroflot, qui a fêté récemment ses 95 ans. Sa réputation en matière de sécurité est sulfureuse, mais ils semblent avoir fait beaucoup des progrès ces dernières années. Sur la confirmation d’enregistrement numérique, Aeroflot nous informe que nous voyagerons aux côtés de Charles de Gaulle en faisant une brève escale à Moscou.
Lorsque l’avion commence à descendre en direction de Moscou, nous entendons des hurlements à bord de l’appareil. S’ensuit une certaine confusion. Bi et Ju ne sont pas particulièrement anxieux en avion, mais il faut admettre que ce n’est pas un phénomène habituel et que cela peut faire songer à des scènes de catastrophe hollywoodienne. En fait, il s’agit d’un Russe ivre qui se serait levé avant l’atterrissage et aurait frappé à une porte de l’avion. La moitié des passagers des rangées devant nous se lèvent pour filmer la scène, ajoutant à la confusion. Le bougre aurait pu nous faire rater notre correspondance, car nous avons dû attendre un temps certain les services de sécurité.
Lors du contrôle des passeports, nous sommes accueillis par un militaire kirghize qui engueule tout le monde en kirghize, assez méchamment. Il s’en prend à Bi qui vient de se faire doubler par une vieille Kirghize, et qui est par conséquent dans la zone de discrétion du guichet. Mais heureusement, Bi échappe à la prison. pour le moment.
Une fois arrivés à Bichkek, nous rencontrons le loueur du 4×4. Il discute avec Ju en Anglais des aspects techniques et du contrat. Bi refusera de prendre le volant pour conduire jusqu’à l’hôtel, prétextant de ne pas avoir suivi la discussion avec le loueur, laissant Ju et son état de fatigue terminal prendre le volant.
2. Visite de Bichkek
Le premier jour est donc l’occasion de visiter la capitale du pays, puisque nous sommes sur place. C’est une ville de plus de 900.000 habitants, la plus importante donc… d’un pays… en développement. C’est une ville en (re)construction. Il y a des chantiers partout, des monuments importants se construisent, de nombreuses rues (parfois des axes majeurs) sont fermées à la circulation… leur état étant souvent catastrophique. Quand c’est le cas, nous sommes redirigés par Google dans des rues plus petites, à l’état encore plus catastrophique (des trous de 20 centimètres de profondeur un peu partout). Avec notre voiture sans amortisseur, c’est sportif ! Autre problème, Google Maps n’est pas très au fait des voies à emprunter dans la capitale kirghize, et nous propose souvent de tourner à gauche… quand il n’y a absolument pas de route à gauche.
Si Ju a déjà visité des pays pauvres, c’est une première pour Bi, qui découvre la gorge qui pique en marchant dans la rue, la pollution sonore due aux vieux moteurs et surtout aux klaxons ininterrompus : quelqu’un double, il klaxonne, quelqu’un voit un beau vélo, il klaxonne, quelqu’un indique qu’il laisse passer un piéton, il klaxonne, quelqu’un indique qu’il ne laissera pas passer le piéton, il klaxonne, quelqu’un grille une priorité (enfin comme il n’y a pas de règles de circulation, la notion de priorité est absconse), il klaxonne, quelqu’un est énervé parce qu’il y a un bouchon, il klaxonne (liste non exhaustive).
Mais surtout, Bichkek, c’est moche. Nous étions prévenus et ce n’était (heureusement !) pas l’objectif du pays. Mais il n’y a vraiment pas grand chose à y voir. Ce que retiendront surtout BiJu, c’est la statue de Lénine qui trône fièrement à l’arrière de Musée de l’Histoire.
La Place Ala Too est la plus importante de la ville. Elle fut le théâtre d’un mini Tian’anmen kirghize en 2005. Aujourd’hui y trône la statue de Manas, héros national et unificateur des Kirghizes.
Nous visitons quelques parcs, dont l’Oak Parc, doté d’équipements sportifs de toute dernière génération (!) et d’une triste “boutique de souvenirs” à la peine…
Mis à part cela, il s’agit d’une alternance de rues à l’apparence soviétique avec des bâtiments délabrés, qui côtoient des bâtiments plus modernes sans âme…
Il est donc temps de se préparer pour notre première randonnée et de nous éloigner de la pollution et de cette misérable populace.
3. Première randonnée modeste et déjà de la fatigue
Nous nous rendons donc le lendemain matin à Jylamysh, au Sud de Bichkek. Il s’agit d’une balade modeste pour se mettre en jambe (une quinzaine de kilomètres et un dénivelé positif n’excédant pas les 500 mètres). C’est peut-être la route (le chemin ?) pour s’y rendre qui sera le plus sportif, puisque nous sommes dans la campagne (autant dire que le goudron n’a pas encore été inventé dans ces contrées, où circulent pourtant des camions).
Le temps est ensoleillé et le paysage est très vert et fort sympathique. Nous croisons des yourtes et de nombreux animaux. Ju se plaint d’une fatigue excessive et Bi n’est pas non plus en grande forme, fatigué par plusieurs nuits quasi-blanches.
Comme prévu, la météo se gâte. En quelques minutes, le temps devient menaçant et vire à l’orage. Nous sommes rapidement trempés, mais cela permet de nous redonner de l’énergie et nous regagnons la voiture assez rapidement. La voiture et la route, la principale aventure de ce voyage ?
4. L’aventure de la route
Pour rappel, nous conduisons un UAZ Hunter, une évolution d’un véhicule de l’armée soviétique. Le loueur nous avait prévenus : bien qu’il soit neuf (il arbore 5000 kilomètres), la conduite peut paraître surprenante et sera bien différente de nos voitures françaises.
Effectivement.
Tout d’abord, la voiture est dotée de deux réservoirs (“We have two tanks”, faudra-t-il dire sans cesse aux stations essence. Notons que cette réplique s’est avérée être un échec à chaque fois, et laissait systématiquement la place à des gesticulations ridicules pour faire comprendre qu’il faudrait utiliser la pompe à essence des deux côtés du véhicule). Un simple bouton nous permet de passer de l’utilisation de l’un à l’autre, sans couper le moteur, et heureusement. En effet, l’un des deux réservoirs est fortement défectueux, et à chaque fois qu’il connaît des ratés (la voiture arrêtait d’accélérer), il faut repasser temporairement sur l’autre. Quand il est plein, le phénomène est assez rare, mais une fois qu’il en est à la moitié de sa capacité, il faut jongler toutes les 30 secondes. Serait-ce un gadget novateur anti-endormissement au volant ? Appuyer sur un bouton sans arrêt pour pouvoir avancer 🙂 Par ailleurs, la jauge de ce réservoir est en panne et indique invariablement qu’il est vide. Pour l’autre réservoir, elle se bloque à 75% même quand il est plein.
Il faut dire que les indicateurs de la voiture sont pour le moins étrange : le voltage de la batterie varie au gré du clignotement ou des essuie-glaces, parfois le compteur de vitesse rajoute 60 km/h et il faut couper le moteur pour le remettre à zéro… Pour compléter le tout, l’embrayage a commencé à se bloquer ponctuellement durant les derniers jours de l’expédition, nécessitant des appuis vigoureux sur la pédale pour pouvoir continuer à accélérer (à condition de changer de réservoir bien sûr !)
Une autre condition pour pouvoir continuer à accélérer, c’est de trouver de l’essence d’une qualité correcte. Le loueur nous suggère de privilégier les stations Gazprom et le Sans Plomb 95. En effet, nous croisons dans la campagne des stations à l’allure extrêmement douteuse, affichant des tarifs pour du Sans Plomb 80, 92, 93… Nos rencontres avec les pompistes (assez régulières, le véhicule étant évidemment assez gourmand) sont souvent improbables.
Dans une station de “Bishkek Petroleum” où personne ne parlait anglais, le pompiste a voulu utiliser l’intégralité du crédit que nous avions mis à sa disposition. Pour ce faire, il a commencé par faire déborder le réservoir de droite et à continuer à le remplir malgré les gouttes tombant par terre…
Puis il a refait de même avec le réservoir gauche, et s’est mis à secouer la voiture, comme pour “tasser” le carburant pour continuer à les remplir… noyant le trottoir d’essence et générant un beau fou-rire de BiJu (la voiture goûtait encore une demie heure plus tard sur le parking de l’hôtel…)
Et pourtant, il faut rester excessivement concentré sur la route : d’abord parce que les kirghizes roulent n’importe comment : par exemple, ils doublent par la droite aussi bien que par la gauche sans prévenir. Mais aussi parce que les êtres vivants de ce pays, pourtant magnifique, ont un caractère suicidaire assez prononcé : les gens, les chèvres, les chevaux et les vaches traversent devant les voitures (y compris sur ce qu’ils appellent l’autoroute), les enfants courent au milieu de la route… Mais surtout, un phénomène extrêmement étrange se produit aux abords du grand lac d’Issyk Kul : les oiseaux marchent sur la route et restent plantés là, sans se soucier des voitures : la route est ainsi jonchée de cadavres d’oiseaux, par centaines, sur des dizaines de kilomètres… sont-ils atteints par l’uranium qui pollue la région depuis l’ère soviétique ?
Sur la route, nous croisons de nombreux cimetières musulmans, des vestiges de l’époque soviétique (souvent en lien avec la commémoration de la Victoire de 1945) et des montagnes, beaucoup de montagnes…
5. Les autorités locales
Durant ces dix jours, nous parcourons pas loin de 2000 kilomètres avec la voiture. C’est là que nous en arrivons au point central du récit : la police. Désormais, nous comprenons pourquoi c’est la principale information que nous trouvions sur Internet lorsque nous faisions des recherches sur le pays. Dans certaines zones, il y a des contrôles tous les 500 mètres. Et dès que les policiers ne sont plus occupés, ils arrêtent quelqu’un pour leur faire payer une amende. Justifiée ou non.
Bi se fait arrêter une première fois en pleine cambrousse dans le petit village de Kyzyl-Tuu : l’agent, souriant, nous serre la main, nous demande nos noms, nous demande si nous sommes américains, ne contrôle pas nos papiers, nous demande dans quelle direction nous allons (continuons nous la route ou empruntons nous le chemin barré sur la gauche ??? ben on continue notre route quoi…), nous resserre la main et nous laisse partir.
Première amende pour Bi, flashé à 72 km/h dans une zone à soit-disant 60km/h (pour être repassé dessus quelques jours plus tard, les indications sont vraiment très floues…). Mais soit, nous payons 1000 soms (environ 13 euros), tarif réservé aux touristes.
Deuxième amende pour Ju, quelques jours plus tard. Ju passe devant un policier qui lui fait des signes bizarres. Bi comprend qu’il demande à Ju de s’arrêter, Ju comprend que le policier lui fait signe de continuer sa route. Ju continue sa route.
Malaise dans la voiture : Bi parle de délit de fuite, Ju commence à avoir un doute. En cas de délit de fuite, nous nous attendons à nous faire arrêter à la prochaine patrouille. Nous roulons 1 kilomètre… et nous faisons arrêter à la prochaine patrouille. Ju se gare, descend de la voiture et marche vers le policier.
Le policier veut parler à Ju et demande à Bi de retourner à la voiture (il a sans doute peur du physique intimidant de Bi). Pas de mention d’un délit de fuite (ouf !) mais Ju a été flashé à 61 km/h au lieu de 40 km/h selon le policier, qui semble inventer cette limitation. Il exige 2000 soms, Ju dit n’avoir que 1000 soms, l’amende est donc miraculeusement divisée par deux. Ensuite, il demande à Ju de souffler dans un éthylomètre (dont l’hygiène de l’embout est douteuse et pas à usage unique). L’appareil est éteint, caché par le policier, qui affirme à Ju qu’il est à 0,2 gramme, la limite étant de 0. Problème : Ju n’a pas bu d’alcool depuis 10 jours. Le policier finit par abandonner son mensonge et laisse repartir Ju.
La route n’est donc pas un long fleuve tranquille (conduite de l’UAZ, population suicidaire, fous au volant, limitations de vitesse souvent peu pertinentes et mal indiquées (20, 40, 60 et 90 km/h au plus vite), police corrompue omniprésente…), mais heureusement, comme le montrent les photos ci-dessus, les paysages montagnards et lacustres sont toujours étonnants et font oublier la fatigue.
6. Karakol
Ju n’étant vraiment pas au meilleur de sa forme, nous décidons de nous rendre à l’Est du pays dès le lendemain de notre première randonnée, afin qu’il puisse un peu se reposer dans la voiture. Nous arrivons donc à Karakol après être passés sur la rive Sud du lac Issyk kul.
Là encore, il n’y a pas de quoi être transportés par l’apparence de la ville. Seule l’église orthodoxe vaut le détour… Nous nous restaurons dans un petit restaurant sympathique (dans une rue au comble de l’hideux) qui sert des plats typiques.
La cuisine kirghize n’est pas très diversifiée ni intéressante. Au delà du lait de jument fermenté (que nous n’avons pas eu l’occasion de découvrir), les spécialités sont les beignets frits (pain national), le boeuf, agneau et poulet kurdakk (mélange d’oignons, de pommes de terre, de beurre) et le yak. Ju, essayant d’être végétarien, n’arrive pas à se décider dans ce pays de carnivores, et se rabat sur du poisson. Les desserts font peine à voire : des nouilles frites au miel, des gâteaux denses nappés de chocolat, l’Asie n’est définitivement pas le continent du sucré.
7. Jeti-Ögüz
Le lendemain, Ju étant trop fatigué pour aller randonner, Bi se rend seul dans la vallée de Jeti-Ögüz, réputée pour ses formations rocheuses rouges qui rappellent les paysages arizoniens. Quelques kilomètres plus loin, la randonnée l’amène au pied des montagnes enneigées. Sans être excessivement exigeante, c’est la première vraie “randonnée” avec quelques montées assez raides, menant à des campements où touristes côtoient des autochtones cherchant des clients pour monter à cheval (Bi décline l’offre dans un anglais incompréhensible à un indigène s’exprimant sans doute en russe). Objectif du jour, une cascade au coeur de la montagne. A la fin de la journée, Ju rejoint Bi en taxi pour profiter du paysage de la vallée, où le panorama est assez impressionnant.
8. Ala Kul
Stressé par son état qui a tendance à empirer, Ju décide de rentrer en France en prenant un vol lundi, soit trois jours avant la date prévue. BiJu décident de rester dans la région de Karakol encore un jour. Le planning des randonnées s’en trouve un peu chamboulé : nous devions faire une grande randonnée très exigeante sur deux jours en direction du lac Ala Kul. Bi décide de s’y rendre seul, mais en une seule journée, en ayant conscience qu’il n’aura vraisemblablement pas la force de monter jusqu’au lac sans y camper pour revenir avant la tombée de la nuit (sachant que certaines portions du chemin sont un peu trop dangereuses pour être parcourues de nuit).
La randonnée commence par une arnaque. L’entrée du parc naturel est payante, et Ju n’étant pas là pour négocier en anglais (avec un local s’exprimant d’ailleurs avec difficulté dans la langue de Shakespeare), Bi fait de son mieux mais paie 450 soms (soit environ 6 euros) une prestation qui n’en valait certainement que 100. Mais quand bien même, au moins il aura rendu un Kirghize heureux.
La première partie de la randonnée est relativement aisée. Bi rencontre un berger sur un mulet, avec qui il tente de s’entretenir, en anglais, sur environ deux kilomètres. Not very simple. Deuxième jour sans Ju et voilà qu’il est assailli par les gens. L’homme est en tout cas très sympathique mais semble assez perplexe à propos de l’objectif de Bi (monter jusqu’au lac puis revenir avant la nuit, alors qu’il est déjà presque midi et que le tout fait environ 2000m de dénivelé).
En effet, la seconde partie de la randonnée est très exigeante, et le chemin est particulièrement raide, sans doute plus que lors du Tour du Mont Blanc l’an passé. De plus, à 2900 mètres d’altitude environ, le chemin tend à se transformer en escalade de rochers. Bi, toujours en manque de sommeil, est “au bout de sa vie”, comme dirait Br, resté à Metz. Conscient du manque de temps, l’objectif est fixé à un campement repéré sur la carte. le but est atteint, mais là, c’est le drame : certains Kirghizes ont un mauvais fond, et, en plein milieu de la montagne, ont installé un panneau “BAR” qui n’existe ÉVIDEMMENT pas. Bi en a conscience, mais le soleil lui frappe fort sur la tête, il se met à espérer et poursuit le “chemin”.
Malheureusement, il faut vite se rendre à l’évidence : il est plus prudent de faire demi tour : à 1,4 kilomètre du lac, il reste encore 400 mètres de dénivelé positif, et Bi est à bout de force, il fait une pause tous les 10 pas… à un endroit où 2 pas = 1 mètre de dénivelé ! Il est 16h30, il faut tout redescendre, au pas de course, pour rentrer avant la nuit. Comme à chaque fois lors des randonnées de montagne, Bi ne rêve pas de bière, mais de Coca Cola.
Le retour vers Karakol se fait sans encombre et sans arrestation.
9. Retour vers Bichkek
Nous reprenons donc la route de Bichkek dimanche matin, afin d’emmener Ju à l’aéroport. Cette fois, nous décidons d’emprunter la rive Nord du “Lac chaud”. Elle est beaucoup plus moderne, et par conséquent, moins digne d’intérêt. Il y a énormément de travaux : sur certaines portions, la route n’a rien à envier aux infrastructures françaises, tandis que d’autres sont encore en travaux, sur de nombreux kilomètres : le chemin est donc long.
Cette rive est dotée de nombreuses infrastructures touristiques, héritées de l’ère soviétique, lorsque les notables du régime partaient en villégiature. De plus, aujourd’hui, la brume (et la pollution) s’invite et masque le paysage.
Nous passons par les gorges de Grigorievka où des locaux à cheval nous demandent de nous arrêter (prétextant que le chemin est réservé aux chevaux, ce que nous savons être faux) et nous harcèlent pour nous louer des chevaux. Agacés, BiJu s’arrêtent et tenter de s’éloigner à pieds, poursuivis par les locaux. Ju parvient à trouver une autochtone parlant anglais, et lui demande de traduire pour à ses collègues que nous ne voulons rien acheter, que nous ne voulons pas de chevaux et qu’il faut arrêter de nous suivre maintenant. BiJu regagnent la voiture, et partent dans la direction interdite…
Après une nuit dans un hôtel luxueux mais bruyant, Bi emmène Ju à l’aéroport dans des conditions compliquées : il pleut à seaux, la visibilité dans le 4×4 est catastrophique, d’autant plus qu’il n’y a pas d’anti-buée. A l’approche d’un passage à niveau, les lumières et les sirènes s’affolent. Les automobilistes s’en contrefichent et accélèrent… Bi commence par les imiter mais est soudain pris d’un doute et finit par s’arrêter (et donc par se faire copieusement klaxonner par des Bichkekois furibards). Et là c’est le DRAME.
Enfin, un petit drame. La barrière manuelle se ferme… sur le capot de la voiture : PAF. Oops. L’agent de la barrière nous siffle et nous intime l’ordre de reculer (nous sommes de toute façon à plusieurs mètres de la voie ferrée). Bi obéit, recule et… raie un peu le capot. Nous attendons le train près de 10 minutes, et il finit par passer… Après trois quarts d’heure de conduite un peu stressante dans ces conditions, nous arrivons à l’aéroport, Ju rejoint la France et la médecine moderne.
10. Bi seul en Terre Inconnue.
Voilà, Ju a abandonné Bi à son sort en pleine Kirghizie pour trois jours. Bi a donc trois jours pour apprendre le François aux Kirghizes. Ce n’est pas gagné.
Le planning de ces trois jours en solitaire est chargé d’objectifs hautement stratégiques :
J1 : profiter du mauvais temps pour reparcourir Bichkek (super !) pour y trouver des tablettes de chocolat russe et kirghize pour Dame Alice, des cartes postales, et des souvenirs à rapporter.
J2 et J3 : retour des randonnées : visite des canyons de Konorchek et randonnée vers le Lac Kel Tor (les deux étant à environ deux heures de route chacuns, soit environ 50 contrôles de policiers corrompus à éviter par jour…), et faire le plein d’essence chez des pompistes étranges sans Ju !
J4 : aller faire laver la voiture sans Ju, rendre la voiture et se rendre à l’aéroport.
Bon, là autant vous dire que j’ai songé à fuir dans la montagne pour toujours et à m’exclure de l’humanité, tant tous ces objectifs semblaient irréalisables.
Le J1 fut sans doute le plus difficile. Si le tourisme existe dans le pays (nous en croisons régulièrement, y compris des Français même s’ils ne sont pas majoritaires), le Kirghizistan n’a pas encore achevé sa mutation vers un pays offrant des services aux touristes occidentaux. J’ai marché TROIS HEURES dans le centre de Bichkek pour trouver des cartes postales dans une galerie commerciale. Je sais que je déteste le shopping et que je n’excelle pas dans cette activité, mais tout de même. Les “souvenirs” que je trouvais au début étaient des agendas “GREAT BRITAIN” ou des cadres “PARIS”… Super !! Mais la mission est accomplie… enfin sans doute partiellement : j’ai déposé des cartes postales dans un bureau de poste où l’on m’a parlé en russe (ou en kirghize ? Je ne vois pas la différence….), on a pris mon argent, ainsi que mes cartes postales, je n’ai pas vu l’agent coller les timbres dessus… Puis elle est repartie dans l’arrière boutique et je suis resté là comme un glandu. Je ne miserai donc pas grand chose sur l’aboutissement de la manoeuvre. En revanche, pour le chocolat de la collection de Dame Alice, c’est une réussite, merci l’Asia Mall !
Le J2 fut nettement plus agréable et ensoleillé. Le canyon de Konorchek est magnifique. La marche débute sur une sorte d’aire d’autoroute (où est bien évidemment installée la police…), pourtant, après quelques dizaines de mètres, on se croirait en plein désert où l’Homme n’aurait encore jamais mis les pieds.
Pour le J3, retour à un paysage plus alpin. Le but est d’atteindre le “Kel Tor Lake”, pour oublier l’échec de l’ “Ala Kol Lake”. Après un contrôle de papiers par la police (non corrompue cette fois), la randonnée n’est pas du domaine de l’extrême (une quinzaine de kilomètres aller-retour pour un peu plus de 1000 mètres de dénivelé), mais là encore, la dernière portion de montée est extrêmement raide… d’autant plus que le mauvais temps arrive un peu plus vite que prévu : la dernière randonnée se fera sous la neige au-dessus de 2600 mètres, et sous la pluie pour le reste du retour. La brume masque un peu le paysage grandiose, mais le plaisir d’être seul au monde dans la montagne n’en est pas amoindri, et l’objectif du lac est atteint !
Le lendemain, tout se fait sans encombre également. Je ne comprends pas grand chose à ce qu’on me dit (sauf à la personne parlant français accompagnant le loueur de la voiture !), mais le 4×4 est lavé de manière impeccable pour environ 400 soms durant une heure (les ouvriers lavent même les pneus à la brosse….), le véhicule est rendu à son propriétaire, un taxi m’emmène sans m’arnaquer un l’aéroport (choqué par cette non-arnaque, je lui laisse un bon pourboire, allez comprendre…), et je parviens à prendre l’avion, direction la France…
11. Conclusion
Même si le planning du séjour a été un peu bouleversé (mais c’est souvent le cas lors de nos expéditions !), le bilan est positif, des paysages magnifiques et authentiques ont pu être parcourus. Nos tentes et nos duvets haute technologie n’ont donc pas été utilisés sur les sommets kirghizes, mais sans grande conséquences financières, le coût des hôtels étant faible dans le pays.
La majorité des Français s’avère incapable de situer le Kirghizistan sur une carte et s’imagine un “Rogue State” à son évocation. A l’inverse, les Kirghizes semblent avoir une assez bonne image des Français et sont contents d’en rencontrer pour échanger quelques mots. Lors de la dernière randonnée de Bi en montagne, l’un d’entre eux était content car il avait appris un peu de Français à l’école quand il était petit. La population locale est donc sympathique, du moins quand l’échange est possible (quand une caissière répond en Kirghize, forcément, le dialogue tourne court).
Seul en Kirghizie, Bi a fraternisé avec ses hôtes de l’ “Home Guest Residence”, un charmant jeune couple très serviable, qui a notamment aidé Ju à retrouver son passeport oublié chez Megacom, un opérateur téléphonique chez qui nous avions souscrit un contrat mobile. Ils ont invité Bi à leur table un soir. C’est donc la première fois de l’Histoire de la Vie de Bi que ce dernier utilise de l’Anglais en dehors de l’école. Ce fut extrêmement laborieux, mais profondément novateur. A noter que notre hôte a promis d’apprendre un peu le Français pour notre retour au Kirghizistan, la chose est notée ! Un beau livre de photos sur le pays nous a par ailleurs été offert.
Le Kirghizistan, c’est aussi un pays plus libre que la France, oui oui. Nous avons découvert qu’il était possible de se procurer dans les pharmacies un médicament russe proche du Prontalgine en France, substance que nous utilisions jadis pour lutter contre nos douleurs musculaires lors de nos blessures en randonnée, mais qui a été interdite sans ordonnance (à cause de la dose infinitésimale de codéine qu’elle contient) par notre charmante ministre Madame Buzyn.
Note sur l’état de Ju : après avoir été lamentablement détraqué pendant un mois, le corps de Ju s’est soudain remis à fonctionner normalement. Une batterie d’examens indique qu’il est en excellente santé, et le médecin mise sur un virus résistant qui semble être la cause de la situation. Ju s’engage à être plus vigoureux lors de la prochaine aventure.
Dame Alice
Tu as été courageux de continuer tout seul !
Bister
Je ne pouvais pas risquer de rentrer au pays sans tes tablettes de chocolat !
Br
Tu m’as ramené une AC du coup ?
Bister
Tu en as déjà trop à gérer en même temps, j’ai préféré éviter…
rené
Bravo Bi, bravo Ju, le sens de l’aventure et le gout du risque existent encore. J’aurai eu le chocottes d’aller dans un pays dont je ne parle pas la langue, et où le Français est exotique… Mais alors, un pays où le Russe est LA langue touristique.. Encore bravo pour le courage intellectuel
Photos superbes : c’est un loup, le gros chien blanc?
Bister
Merci ! 😉 Non malheureusement je dois avouer qu’il s’agissait d’un chien, ça ne vaut pas le puma de l’Arizona 😉